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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/915

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demande de l’aumônier, pour aller voir un Anglais, ancien camarade de Werden, qui s’y mourait de la tuberculose. J’ai rapporté de ma visite une impression d’horreur. Murs peints en vert sombre, maculés de taches sinistres, parquet poudreux, literies infectes. Le mobilier, dans la salle où je suis entré, se compose d’une petite table bancale ayant perdu sa couleur, de deux escabeaux, d’un fauteuil de malade qui n’a conservé que son bourrage et auquel une épaisse couche de crasse a communiqué une couleur grise uniforme. L’entretien de cette salle dénote une méconnaissance absolue des principes les plus élémentaires de l’hygiène. De la poussière, du désordre partout. Trois lits ou, plutôt, trois grabats dont le style rappelle celui de nos cellules. Deux d’entre eux sont occupés par des forçats allemands. Sur le troisième est couché mon Anglais, le visage ravagé par la maladie, baigné de sueur, le corps recouvert d’une chemise repoussante de saleté, émergeant à moitié des draps grossiers et des couvertures en lambeaux qui sont l’ordinaire de tous les prisonniers, malades et bien portants. Au chevet du moribond, sur un escabeau, quelques boites de conserve, un peu de lait condensé provenant d’un colis. Pour le service de l’infirmerie, pour tenir compagnie à ce malheureux qui, dans quelques jours au plus, va mourir loin de son pays, loin des siens, deux Allemands, forçats comme ses compagnons de lit. Et voilà le sort qui attend tous les prisonniers politiques trop malades pour pouvoir rester en cellule !

On comprend qu’ils ne s’y rendent qu’avec terreur. Dans l’esprit de la plupart des humbles, le lazaret c’est la mort. Ils savent qu’ils n’y auront pas les soins nécessaires. Sauf dans des cas exceptionnels, ils continueront à y recevoir l’écœurante nourriture de la prison. Ils n’y trouveront d’autre part, ni confort, ni dévouement. Mais ce qui les y attend, et ils le savent aussi, c’est la promiscuité dégradante avec des criminels, ce sont les sarcasmes et les mauvais traitements qu’ils auront à subir de la part de ces étranges compagnons de chambrée, c’est la jalousie féroce et l’inhumanité des calfats allemands du lazaret, les seuls infirmiers que la sollicitude de l’administration ait préposés au service des politiques malades.

Qui ne se souvient de la lamentable histoire d’un Français du nom de Romain ? À moitié mort de faim, épuisé par un travail prolongé, réduit à l’état de squelette, Romain se présente