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à la visite du médecin. On l’envoie au lazaret. « Rien de bien sérieux, déclare Rouck ; dans quinze jours il dansera. » Le soir même Romain est atteint d’une crise. Rappelle. Personne ne vient. Il hurle pour avoir du secours. Il hurle la nuit entière. Pas un infirmier, pas un gardien ne se dérange. Du dehors une voix seulement s’est fait entendre : « Taisez-vous, lui a-t-on crié, ou nous vous ferons votre affaire. » Romain a cessé de crier : son « affaire » était faite. Le lendemain on l’a trouvé mort sur son grabat. Je tiens ces détails d’un autre politique interné dans une salle voisine.

Faut-il s’étonner, en présence d’une situation pareille, si, en moins d’une année, il s’est produit ici — uniquement d’ailleurs du côté allemand — quatre tentatives de suicide ?


LES ÉCURIES D’AUGIAS

Après le drame, la comédie. La peinture de notre existence au bagne de Cassel ne serait pas complète si, après en avoir décrit les côtés poignants, je ne rappelais pas les souvenirs plaisants ou même agréables qui, pour beaucoup d’entre nous, y resteront attachés.

Ce qui, dans le domaine matériel, a surtout contribué à nous rendre supportable la vie au bagne, c’est l’invraisemblable incurie qui régnait à Cassel, c’est l’absolue infériorité de la direction, c’est le fait que la direction elle-même était débordée par un personnel médiocre, sans valeur morale ni expérience, et, par dessus tout, accessible aux suggestions de la faim. Il nous a fallu du temps pour nous rendre compte de cet état de choses en désaccord si manifeste avec ce qu’on nous avait toujours dit de l’organisation et de la méthode prussiennes ; mais une fois que nous y avons vu clair, nous étions sauvés.

Je n’en finirais pas si je voulais noter tous les traits qui, certains jours, donnèrent au bagne de Cassel la physionomie d’une prison de vaudeville. Une fois, ce sont de fausses clefs exécutées à la forge sur le modèle du passe-partout d’un de nos gardes-chiourme. Une autre fois, c’est un appareil de photographie acheté en ville par l’un de mes camarades, et qui permet à notre ami de prendre une centaine de clichés, dans nos cellules, dans les couloirs de la prison, à la chapelle, dans les bureaux de la centrale. Tous nous nous plaçons devant l’objectif, isolés ou