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partie la moins aisée de notre tâche. Ici encore, cependant, nous avons obtenu des résultats, sinon complets, du moins appréciables.

Toute l’administration, à Cassel, reposait sur quatre hommes : le surveillant en chef et le Hausvater, l’un et l’autre d’opinion socialiste, et ne s’en cachant pas ; le directeur et le secrétaire, animés de convictions pangermanistes, et qui ne s’en cachaient pas davantage. Auprès de ces quatre hommes, il suffisait de mettre en pratique le « Divide et impera. » Tout les séparait. Pour tenir l’ordre dans la prison, ils n’avaient ni. ligne de conduite arrêtée, ni chef digne de ce nom, ni auxiliaires méritant confiance. C’était à nous de profiter de la situation. Il s’agissait d’exploiter la jalousie, les tiraillements existant entre les deux partis en présence. Il s’agissait d’exciter les socialistes contre les pangermanistes, de s’introduire dans les bonnes grâces de l’un, de se faire craindre de l’autre, de gagner celui-ci, de rouler celui-là. Il s’agissait surtout d’opposer à l’impéritie et à la négligence de cette administration de contrebande la force d’inertie, qui était notre grande force à nous.

C’est ce que nous avons fait avec un succès chaque jour grandissant. Nous connaissions tous les rouages de la machine, Nous savions qu’à la base de toute l’organisation il y avait deux traits dominants : brutalité et incurie. La brutalité, nous en prenions notre parti ; quant à l’incurie, elle nous permettait d’opérer des merveilles. Grâce à elle, notre vie, pendant la dernière année de mon séjour à Cassel, était devenue supportable.

C’était tout un monde que notre prison, avec ses passions, ses coteries, ses petites intrigues, ses rumeurs et ses courants d’opinion nettement tranchés, bruyamment manifestés. Rien ne se passait dans la prison qui ne fût aussitôt connu, commenté, interprété et souvent dénaturé. Bruits de la maison, bruits du dehors, bruits faux, bruits vrais, suppositions qu’on transformait en affirmations, probabilités qui devenaient des certitudes, tout cela pénétrait dans nos cellules, tout cela était introduit chez nous par les calfats, les porteurs de journaux, les surveillants, tout cela alimentait et façonnait l’opinion publique. La presse clandestine, de son côté, contribuait à répandre les idées, les rumeurs. Parfois des conflits naissaient, des propos aigres-doux s’échangeaient. D’une station à une