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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/923

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de la Confédération du Nord et le chef du Grand-Quartier général. — L’orgueil allemand avait d’abord caressé le rêve de loger le premier dans la demeure même de Louis XIV. La crainte des microbes plus encore que le sentiment des proportions fît renoncer à ce dessein : le Palais avait donné asile à des typhiques dont on redoutait la contagion pour la précieuse personne du souverain. Celui-ci alla donc remplacer son fils à la Préfecture, où une compagnie de garde signalait sa présence. Il n’en sortait que pour des excursions aux avant-postes et ne se montrait guère que le dimanche, pour assister au service divin célébré à la chapelle du Château ; il donnait, à la sortie, une courte audience à ses généraux et, si le temps s’y prêtait, promenait ensuite sa dignité compassée dans les allées du Parc, où il aimait à interroger familièrement les blessés.

En quittant la Préfecture, le Prince Royal était allé s’instal1er dans une spacieuse villa privée, appelée « les Ombrages, » entourée d’un beau parc et située entre la gare et le plateau de Satory. Fidèle aux habitudes de sociabilité qui le distinguaient, il y tenait une espèce de cour militaire, recevait volontiers et, après les repas, s’entretenait avec ses hôtes bottés dans le grand salon du rez-de-chaussée, que la ferveur religieuse de la propriétaire avait tapissé de versets de la Bible, gravés sur les boiseries blanches des parois. Avec sa haute stature, sa mâle prestance et ses yeux bleus, il apparaissait à ses admirateurs allemands comme le type achevé de la beauté germanique. Il présentait à cet égard un contraste frappant avec son chef d’Etat-major Blumenthal, auquel son œil vif, sa barbe broussailleuse, son air narquois et son habituelle causticité prêtaient l’apparence d’un vieil employé frondeur, fort redouté pour ses reparties.

L’élégant hôtel moderne, que Mme Jessé possédait au n° 14 de la rue de Provence, abritait le comte de Bismarck, avec les quelques personnages de sa suite ou plutôt de sa domesticité diplomatique. C’est dans une petite chambre du premier étage qu’il allait, pendant tout l’hiver, travailler inlassablement à faire un Empire et une paix, traiter avec l’Europe pour empêcher son intervention, avec la France pour la réduire à merci, avec les princes allemands pour les soumettre à l’hégémonie prussienne. Entre temps, il se délassait de ses continuelles préoccupations, de ses longues veilles et de ses fréquentes insomnies par de copieuses ripailles, qui fournissaient, à ses familiers l’occasion