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négociations avec Bray arrivaient à leur crise décisive, Bismarck prenait connaissance d’un lot de papiers d’Etat « trouvés » à Cerçay, dans le château de l’ancien ministre Rouher, et aussitôt envoyés à Versailles. Selon toute vraisemblance, ils contenaient, entre autres pièces intéressantes, une série de lettres adressées précédemment au Gouvernement français par les ministres du Sud, alors que ceux-ci, incertains encore de leurs destinées futures, cherchaient à Paris un appui contre l’ambition prussienne. Quel effet n’aurait pas produit sur le patriotisme germanique, exalté en 1870 par les passions de la guerre, la publication de documents dont les auteurs apparaissaient en posture de suppliants vis-à-vis de l’ennemi héréditaire ! Pour briser leur résistance à ses projets, il aurait donc suffi à Bismarck de mettre sa discrétion au prix de leur complaisance, et de leur faire comprendre qu’il possédait les moyens de les perdre dans l’opinion, s’ils n’abandonnaient pas leur intransigeance.

Le soir même du jour où il avait conclu avec les Bavarois, il se faisait apporter un verre de Champagne, et s’écriait d’un ton de triomphe, en présence de ses familiers : « L’unité allemande est faite et l’Empereur aussi ! » Assertion un peu prématurée et que devait démentir, quelques jours plus tard (2 décembre), cet involontaire aveu : « Nous sommes assis sur la pointe d’un paratonnerre ; si nous perdons l’équilibre que j’ai eu tant de peine à établir, nous dégringolons immédiatement. » Pour que cet équilibre fût durable, il fallait, après avoir signé les traités, surmonter les répugnances que le Roi de Bavière, les parlements locaux, et même le Roi de Prusse, paraissaient, pour des raisons diverses, éprouver à les ratifier.

Le premier y voyait une limitation de sa souveraineté, mais aussi une reconnaissance de cette idée impériale au prestige de laquelle il était loin d’être insensible ; cette faiblesse allait être habilement exploitée pour l’amener à composition. Il avait envoyé à Versailles (25 novembre) son écuyer Holnstein pour le renseigner sur la marche des négociations en cours. Ce fut un jeu pour Bismarck que d’abuser l’inexpérience de ce diplomate improvisé. Il lui représenta que la suzeraineté de Guillaume Ier serait moins pénible à l’amour-propre royal, si ce dernier portait le titre d’Empereur ; qu’il appartenait à Louis II, souverain