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lire une proclamation aux peuples de l’Allemagne, un peu plus développée que son discours, mais également lourde, encombrée de termes abstraits et de formules officielles, sans accent et sans flamme ; elle se terminait par cet engagement, auquel les événements ultérieurs prêtent aujourd’hui une singulière saveur, de « travailler à accroître l’Empire, non dans le sens de la conquête, mais sur le terrain de la culture, de la liberté et de la morale. » Le morceau fit une impression d’autant plus médiocre que Bismarck ne possédait pas les qualités de diseur nécessaires pour le mettre en valeur. Dans la circonstance, l’émotion étranglait sa voix, habituellement rauque, et imprimait tour à tour à son débit une précipitation confuse ou une régularité mécanique.

Il ne restait plus qu’à consacrer le nouvel Empereur par une acclamation solennelle. C’était au Grand-Duc de Bade, seul souverain régnant présent dans la salle, qu’en appartenait l’initiative. Mais de quel titre allait-il saluer Guillaume Ier ? Son embarras était d’autant plus cruel qu’avant la cérémonie il avait inutilement tenté un dernier effort pour lui faire accepter celui d’Empereur allemand. N’osant pas aller à l’encontre de la résolution du Reichstag, il se tira d’affaire en souhaitant d’une voix forte : « Longue vie à Sa Majesté l’Empereur Guillaume le Victorieux ! » La formule était ingénieuse mais découvrait la faiblesse originelle du nouvel Empire, dont la proclamation reposait sur l’équivoque, comme la fondation sur le chantage. Dans l’entrainement du moment, les assistants ne parurent pas d’ailleurs remarquer la forme un peu insolite de l’appel adressé à leur loyalisme ; heureux de donner enfin carrière à une émotion qui, depuis le début de la solennité, cherchait une occasion de se manifester, ils poussèrent de toute la force de leurs poumons trois Hoch ! retentissants, auxquels ils entendirent bientôt répondre comme un écho les hurrahs des troupes massées dans les cours. Ce fut le seul moment dramatique de la cérémonie ; l’effet en fut encore accru quand on vit le Kronprinz, pour rendre hommage à la nouvelle dignité dont son père était revêtu, se pencher pour lui baiser la main comme à son suzerain. Ce geste, imité aussitôt par les autres princes, reportait les esprits à bien des siècles en arrière.

Si l’enthousiasme parut à ce moment unanime et impressionnant, il ne devait avoir que la durée d’un éclair. Il fut presque