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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/209

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C’est l’une des Douze aventures sentimentales de M. Frédéric Boutet. Je ne sais si le résumé en a gardé le charme doux et pénétrant, la simplicité, le naturel et, vraiment, l’âme.

Une autre aventure sentimentale est d’un soldat qui retourne au front et qui rencontre, dans le train, parmi tant de voyageurs, une jeune fille. La jeune fille est une orpheline, qui va gagner sa vie en province comme institutrice. Tous deux ont du chagrin, le chagrin de la solitude, échangent quelques mots qui bientôt seraient de la compassion, déjà de l’amitié. Mais, à l’embranchement, il faut que le soldat change de train, se dépêche, ramasse vite ses paquets. Il est troublé, maladroit ; et il trébuche. Il n’a pas dit au revoir, ni adieu. Le train qui emporte la jeune fille part ; et lui, n’a demandé ni le nom, ni le pays, rien. Il regarde un souvenir s’en aller.

Dans un parc, ou bien aux champs, ou bien à la ville, se retrouvent et se séparent des époux, des amants, des fiancés. Les séparations et les retours ont leur mélancolie ; les séparations laissent parfois plus d’espérance que les retours n’en reconnaissent. Il y a de la souffrance qui va et vient, qui le long des chemins augmente ou s’atténue et surtout change au point de n’être pas longtemps la même. Il y a de pauvres gens qui ne sont pas tout prêts à recevoir leur joie ou leur douleur ; les uns, pour accueillir l’une ou l’autre, font des cérémonies. Les paroles n’ont presque pas de signification parfois et ne sont là que pour remplacer à tout hasard celles qu’on cherche, ou bien ne sont là que pour donner à la voix l’occasion d’être plus plus éloquente. Il faut que ce qui n’est pas dit se devine : on le devine ; M. Frédéric Boutet l’a voulu et son art est délicieux en de telles réussites. Ses personnages, qu’il a pris un peu partout, dans le peuple ou dans le monde, et ces deux catégories ne sont pas toute l’humanité ou ne distinguent pas les êtres comme les distinguent leurs âmes, paraissent et, sans retard, vous les voyez, vous les entendez amicalement. Ses paysages, en quelques lignes et quelques touches de couleur, se révèlent à votre imagination, j’allais dire, à votre souvenir, tant ils vous sont vite familiers. C’est la campagne, et l’heure, et l’éclairage, et l’atmosphère pesante ou légère, l’odeur ; c’est Paris, les quartiers de Paris, toutes ces villes de province connues sous le nom de Paris. Et l’anecdote se déroule sans hâte et si promptement pourtant que l’attention n’a point à flâner. Ce qui permet cette promptitude, c’est que les personnages sont arrivés tout munis de leur destinée, et non de leur fatalité, mais de leur caractère et de leur passé qui prépare le dénouement.