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Les contes de M. Frédéric Boutet ressemblent à la vie.

Dans la vie, les drames sont courts. Ce qui est long, c’est la machination que trament les hasards ; et c’est la formation lente, au jour le jour, des âmes qui seront patientes et actives ; et c’est la conséquence indéfinie des événements. Les péripéties d’une existence, même agitée, tiennent en une page et, à revivre, tiendraient en peu de jours. Mais la substance de la vie est la durée ; aucune image de la vie n’est véridique, où l’on ne perçoit pas la durée. M. Frédéric Boutet sait enfermer la durée dans ses récits les plus courts : ses personnages, ses paysages, ses anecdotes sont les épisodes, les fragments ou les moments d’une continuité qu’il vous a rendue sensible.

Son petit héros, Victor, est un gamin de douze à quatorze ans, si menu et mince que vous lui donneriez dix ans à peine. Un vieux veston d’homme lui fait comme un pardessus ; il a les mains dans les poches d’un pantalon déchiré ; son visage pointu se perd sous la casquette qui enfonce. Le long de l’avenue du Maine, il chemine, rencontre une petite fille et lui annonce qu’il n’a pas de temps à perdre : il fait des courses pour un menuisier, porte les filets à provisions des dames qui, du marché Quinet, vont au Métro ; il chante, l’après-midi, aux terrasses des boulevards. En somme, il se débrouille. Son père est mort, sa mère ne gagne pas lourd ; il a ses deux petites sœurs qui grandissent et « leur faut tout le temps des choses : » en outre, il a « son poilu, » son filleul de guerre. Il ne le connaît pas. Ce poilu de Victor, c’est un soldat qui a écrit pour annoncer la mort d’un autre : et l’autre demeurait dans la maison de Victor, qui lui envoyait du chocolat, des cigarettes. L’autre s’appelait Valot : celui-ci, Dorel « Et alors, dame, puisque j’avais plus Valot, j’ai pris Dorel pour le remplacer... » Mais une automobile s’arrête devant la maison de Victor. Il en descend un sergent, la joue barrée d’une cicatrice, et rasé de frais, « pincé dans un uniforme d’une élégance parfaite ; et chaque détail de sa tenue annonçait la richesse. » C’est Dorel, et qui demande Victor… « Victor fit un bond. Il pâlit et rougit, ahuri, consterné, affreusement gêné devant ce soldat si différent de celui à qui il croyait faire ses humbles envois. » Dorel regardait avec émoi la petite face maigre, les vêtements déchirés, la rue, la maison pauvre. « C’est à vous l’auto ? » demande soudain Victor. Oui ; ou bien, c’est à M. Dorel le père. « C’est vrai que vous l’avez fumé, le tabac ? » cria Victor, les larmes aux yeux. Mais oui ! « Alors, vous voulez bien que je vous en envoie encore ? dit Victor, rouge de joie. — J’y compte bien, répondit le jeune homme avec conviction. Ce sera