Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/355

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tour, notre armée affaiblie par ces combats, privée, par l’éloignement de ses meilleures divisions, des réserves nécessaires, attaquée par des forces formidablement disproportionnées, fléchit et céda ; mais elle n’avait pas attendu qu’accourussent des alliés pour se retourner soudain en un mouvement magnifique contre les vainqueurs du 27 mai et, en limitant leur victoire, en quelque sorte, les y enfermer.

Lorsque, un mois après, cette armée proclamée par la presse allemande « hors de combat, » avait été derechef attaquée, elle avait fait à cette nouvelle ruée un accueil tel que le monde en frémit d’étonnement et quand l’Allemand en restait déconfit, elle l’avait avec une fougue incroyable enfoncé, bousculé, expulsé de ses positions, reconduit l’épée dans les reins.

Certes dans les combats qui allaient suivre, nos alliés devaient, à leur tour, faire preuve d’une valeur à laquelle, le lecteur le sait, nous n’avons jamais hésité à rendre hommage et nous y reviendrons. Mais aucun d’eux ne songerait à contester qu’après s’être largement dépensées dans la défensive, les armées françaises jouèrent dans l’assaut concentrique un rôle que l’effroyable usure faite au service de la Coalition semblait d’une façon absolue leur interdire. Comme je les avais vus marchant à la rescousse des Britanniques en mars, pleins de résolution et d’entrain, en soldats celtes qui toujours ont blagué leurs épreuves, je les vis, en ces dernières semaines de combats, marcher à la victoire avec une infatigable ardeur. Les divisions étaient réduites à quelques bataillons, les bataillons à quelques sections ; notre armée était en lambeaux ; les figures étaient hâves, creusées par la fatigue, ravagées par les veilles et, sous les » habits bleus par la victoire usés, » les dos se voûtaient et presque se cassaient ; ils allaient cependant et allaient toujours ; ils conquéraient et libéraient le sol de la Patrie ; ils ne chantaient plus, ne plaisantaient plus, ne riaient plus ; mais leurs yeux disaient le sacrifice éternellement consenti quand ils n’étaient pas traversés par l’éclair de joie que leur arrachait la vue des immenses colonnes de prisonniers allemands rencontrés ou l’entrée dans une des villes naguère réputées imprenables, Laon, Saint-Quentin, La Fère, Guise, Vouziers, Rethel, Sedan Beaucoup tombaient, parmi lesquels nous avons tous un être cher, et si je laissais parler mon émotion...