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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/445

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natal, dit l’auteur, a je ne sais quel charme qui nous séduit tous… Nous ne l’avons jamais aussi fortement senti que lorsqu’errant à travers les rues, tandis que grondait le canon de Bapaume, nous nous demandions avec anxiété si, par suite de la sauvagerie prussienne, Arras n’allait plus bientôt présenter, comme après les invasions des Vandales, des Hérules, des Huns et des Normands, qu’un amas de cendres et de ruines. » Je crus m’être trompé et avoir acheté un livre paru d’hier. Mais non : Le vieil Arras a été publié en 1877, et la sauvagerie prussienne dont il s’agit ici est celle de 1870. Les Vandales et les Huns sont revenus. Ce que vous craigniez alors, Monsieur le Juge, s’est réalisé quarante-quatre ans plus tard. Tout ce qui demeurait encore de votre vieil Arras n’est plus que ruines et cendres. Je ferme le livre. Rien ne peut distraire du présent.


Le premier Arrageois, — c’était un commerçant, — à qui je demandai « comment allaient les choses, » me répondit : « Mal : pouvez-vous m’expliquer pourquoi on ne donne pas la Légion d’honneur à Arras ? » Je ne pouvais le lui expliquer ; je lui dis seulement que, s’il ne tenait qu’à moi, on l’épinglerait ce jour même sur la poitrine de leur Lion. Le mot de cet homme qui mettait à un plus haut prix que tout l’honneur de sa ville me parut admirable ; et je ne m’étonnai pas que plus d’un tiers des habitants, environ neuf mille, n’eussent point attendu pour rentrer dans Arras qu’Arras fût habitable. Avec les Anglais, les fonctionnaires, les prisonniers et sa population flottante de travailleurs, la ville est bien près d’avoir retrouvé son animation d’autrefois.

Il semble qu’on y ait pris la dure habitude de vivre dans le délabrement. Le contraste est parfois saisissant entre la bonne humeur de la foule et le morne aspect des rues, plus saisissant encore quand on pénètre dans les maisons. Plafonds à moitié effondrés, des trous dans les cloisons, des lambeaux de tapisseries qui pendent, des meubles dépareillés, des tableaux crevés, — l’abandon et le pillage. Les seules pièces où l’on puisse loger ont cet air mélancolique et pauvre que prennent au soir d’un déménagement les chambres où l’on couchera encore une nuit. On m’avait introduit dans ce qui fut le salon ou la salle à