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LILLE

Lille est une très belle ville avec des quartiers de vieille ville affairée et des quartiers de ville neuve vastes et solennels. Elle est diverse. Ville de science, elle a de lourds palais dont le silence qui les entoure semble protéger le travail qu’on y fait ; ville d’industrie, des rues monotones qui se perdent au loin, toujours plus mornes et plus basses. Le XVIIe siècle lui a imprimé un caractère noble et froid ; mais elle garde encore des aspects de Flandre espagnole. D’un quartier à l’autre, on passe d’une ville à une autre ville, d’un siècle à un autre siècle. Elle donne tour à tour l’impression d’une richesse tranquille, d’une ancienneté aristocratique, d’un puissant marché commercial, d’un centre religieux très actif, d’un milieu ouvrier très dense. Elle porte dignement ses blessures. Le bombardement de 1914 a détruit une de ses rues les plus intéressantes, la rue de Paris, dont les ruines vous saisissent à la sortie de la gare, et la rue de Tournai et la rue Faidherbe. L’épouvantable explosion d’un dépôt de munitions allemandes en 1916 a détruit tout un quartier industriel. Mais ces catastrophes ont meurtri la ville sans la défigurer. On regrette seulement, du moment qu’elles devaient se produire, qu’elles n’aient pas nettoyé les vieux quartiers ouvriers de leurs infectes cours ou courettes qui soulèvent le cœur du passant et dont Hugo a dénoncé l’ignominie. Un jour je descendis dans les caves de Lille… Quarante ans de gouvernement démocratique y ont à peine introduit un peu d’air et de soleil. Non seulement la guerre ne les a pas atteintes ; mais elle en a rendu la disparition plus lointaine. On aura assez de reconstruire ce qui est par terre. Le bouge qui tient prend aujourd’hui une valeur de maison bourgeoise.

Pendant quatre ans, les habitants de Lille ont subi dans leur ville un rigoureux internement et ils ont vécu sous la tyrannie d’un goujat probablement alcoolique, l’inamovible capitaine policier Himmel, dont M. Martin-Mamy, dans son livre Quatre ans avec les Barbares, a fait un portrait inoubliable. Cet Himmel est un de ceux qui peuvent se. vanter d’avoir largement contribué à grossir de mépris la haine qu’inspirait son pays. Il y a certainement acquis une espèce d’immortalité. Pendant ces quatre années d’occupation, soumis aux traitements les plus iniques, aux violations du droit des