Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/454

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gens les plus honteuses, les Lillois ont opposé une résistance morale extraordinaire, et, chaque fois que l’oppresseur essayait de moyens plus doux pour la fléchir, ils lui répondaient par l’indifférence souveraine d’une race supérieure qui ne se donne même pas la peine de repousser les avances puisqu’elle ne daigne pas les voir. Leurs âmes et leurs nerfs ont été tendus vers la délivrance. Les deux ou trois mois qui ont suivi l’heure merveilleuse, l’heure matinale où le cri : « Les Boches sont partis ! » a rempli la ville et où tous les gens sortis de leurs demeures s’embrassaient dans les rues en pleurant, ces deux ou trois mois ont été une période de détente et de dépression. On a pu craindre un instant pour cette ville excédée comme une torpeur léthargique. Mais son énergie s’est bientôt réveillée. La vie lui est revenue sous les deux formes du travail et du plaisir. Nul doute qu’elle ne travaille beaucoup. On me dit qu’elle s’amuse beaucoup aussi. Mais ses plaisirs ne sont guère bruyants ; et c’est la gravité laborieuse qui domine.


J’ai eu l’honneur d’être reçu par l’évêque de Lille, Mgr Charost, qui a su si courageusement maintenir contre les violences et les grossièretés de l’envahisseur la dignité de l’Episcopat français. Le gouvernement de Berlin se vit forcé de lui présenter des excuses pour la goujaterie que s’était permise dans son diocèse un cardinal allemand, mort depuis ; et l’on m’a dit que c’était à lui que la vieille église Saint-Maurice dut de ne pas subir le sort de la cathédrale de Louvain. Il a été le bon pasteur toujours en éveil et dont la parole, je le sais, a fortifié bien des âmes.

« Monsieur, me dit-il, vous désirez savoir où nous en sommes. Vous entendrez critiquer le gouvernement et la plupart des critiques seront justes. Mais je crois qu’il a fait tout ce qu’il pouvait faire devant une situation qui le dépassait et avec des moyens insuffisants. Des progrès ont été réalisés. J’estime cependant que trente ou trente-cinq ans seront nécessaires avant que nous retrouvions notre ancienne prospérité. Ce n’est pas énorme si l’on songe à l’immensité du désastre. Et je compte sur l’énergie de ce peuple patient et laborieux. Notre pays possède une force vitale étonnante. La terre y est sans pittoresque, sans agrément. Mais elle récompense le