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travail de l’homme ; elle lui procure des joies intérieures et il y est invinciblement attaché. Je viens de parcourir mon diocèse et toute cette vallée de la Lys, un cimetière de villes et de villages. Je suis fier de pouvoir dire que les premiers qui sont retournés dans cette dévastation ont été mes prêtres et que nos écoles s’ouvriront à l’heure habituelle. Et partout, sauf dans deux districts où la glèbe est empoisonnée, partout j’ai vu des paysans à la besogne ; et leur accueil m’a ému aux larmes. Ils accouraient sur mon passage du fond de leurs champs ; et nous étions les uns et les autres aussi heureux de nous revoir après cette longue absence. Qu’ils obtiennent ce dont ils ont besoin, des outils et des bêtes, et l’an prochain, je vous assure, les moissons répondront à leur espoir.

« Mais il est nécessaire, il est indispensable qu’on facilite le retour à tous les enfants du pays. Notre belle et forte race flamande s’altère loin de ses plaines et perd de sa vigueur. Ce ne serait pas seulement la richesse de la terre ou de l’industrie qui en serait diminuée ; ce serait aussi notre richesse humaine. Nos paysans et nos ouvriers ont encore de nombreuses familles. Et ce que je dis là s’applique également aux patrons. Nos industriels ont reçu de l’État des subsides qu’ils ont attendus trop longtemps, mais qui aujourd’hui leur suffisent. Il ne sied pas qu’ils oublient leur terre natale dans d’autres contrées plus séduisantes ou peut-être plus profitables.

« Enfin, il n’est pas moins nécessaire que nos églises soient rebâties. On répond aux maires qui viennent le demander « qu’elles passeront après le reste. » Nous serons servis quand tous les autres l’auront été. Ce que l’on veut d’abord, c’est l’utile. Comme si l’église n’était pas utile, comme si la maison de Dieu était du luxe ! N’est-elle pas la maison de tous, l’expression de la vie spirituelle, le symbole de la résurrection ? Elle a été pendant les cruelles années de l’occupation allemande le refuge où les confiances ébranlées se raffermissaient. Je me souviens qu’un soir j’allais sortir de l’église de Tourcoing quand une pauvre femme, qui traînait à ses jupes quatre petits enfants, s’approcha de moi et me dit : « Monseigneur, est-ce que nous aurons encore un hiver à passer, un quatrième hiver ? — Je le crains, lui dis-je. — Mais est-ce que nous serons Boches ? — Boches ? Non, ma pauvre femme, vous ne le serez pas. L’hiver sera plus dur pour eux que pour vous :