Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/553

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

griefs du parti radical bulgare contre les velléités d’absolutisme du jeune prince hessois ; nous finîmes par nous brouiller complètement et avec lui et avec les radicaux bulgares ; nous réussîmes à casser le cou au prince, mais ce fut pour livrer le pays au bâton des stamboulovistes, pour faire éclore, en Bulgarie, tout un parti russophobe, et enfin pour aboutir à la royauté de Ferdinand de Cobourg, bien plus dangereux et mille fois plus retors que Battenberg et que nous étions arrivés à ménager, presque à aduler, après l’avoir abreuvé pendant des années d’insultes et de mépris ! Certainement je ne me laisserais pas prendre à recommencer les mêmes erreurs ; je le dis très franchement à M. Sazonoff, qui approuva complètement ma manière de voir.


LES INSTRUCTIONS DE NICOLAS II

Quelques jours plus tard, je me présentais en audience chez S. M. l’Empereur. Je reçus un accueil particulièrement gracieux, et l’Empereur récapitula avec moi les points principaux de mon programme d’action en Bulgarie, — programme qui avait été établi préalablement dans mes conversations avec M. Sazonoff : question des relations avec le Roi, question de la Macédoine, question des relations entre Bulgares et Serbes qu’on voulait très sincèrement voir s’améliorer, et enfin question de la convention militaire proposée par les Bulgares. Je remarquai cependant que, sur ce dernier point, l’Empereur paraissait glisser et ne pas y attacher l’importance que lui donnait Sazonoff.

Depuis ma nomination à Paris, j’avais eu plusieurs fois l’occasion d’avoir avec Sa Majesté des entretiens d’affaires, les affaires de mon ressort, bien entendu. Chaque fois, j’avais emporté l’impression d’une grande bienveillance et d’une extrême politesse personnelle, d’un esprit vif et fin, avec une petite pointe de causticité, d’une conception très rapide, — quoique plutôt superficielle. Lorsque je désirais que mon auguste interlocuteur se prononçât sur tel ou tel autre sujet, j’essayais d’y amener la conversation de loin. L’Empereur, dans ce cas, saisissait la balle au bond, — lorsqu’il le voulait bien, — et passait d’une façon imperceptible et comme de sa propre initiative au sujet en question ; lorsqu’il ne voulait pas