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nous étions croisés au-dessus d’Ypres, l’aile de la cigogne fameuse me protégea quelques minutes de son ombre. D’ailleurs, j’attends encore vainement mon nouvel appareil ; celui d’un camarade, que je montai l’autre jour, faillit me rompre les os, l’hélice s’étant brisée au départ.

Si nous restons inactifs, les sinistres oiseaux de nuit se dédommagent et prennent leur essor dès la chute du jour., Rien de plus magnifique ni de plus lugubre que les feux d’artifices auxquels nous assistons. A peine le ronflement d’un moteur suspect est-il signalé, que d’innombrables sirènes déchirent la nuit d’atroces ululements, avant-coureurs des explosions prochaines. De toutes parts jaillissent les feux des projecteurs qui, du front jusqu’à Calais, fouillent inlassablement les ténèbres. Tantôt ils se dressent à l’horizon embrasé comme une haie de flammes ondoyantes qui pousserait ses rainures jusqu’au fond des nues ; tantôt ils se coupent et se croisent, et dessinent, sur le sombre voile de la nuit, les lettres étincelantes d’un gigantesque alphabet ; tantôt encore, leurs rayons heurtés contre les nuages, les brumes argentées s’épanouissent en larges disques de lumière : on dirait des fleurs étranges balancées sur leurs tiges au gré des vents. Les eaux pures du canal où se mire l’ombre des ormes et la silhouette héraldique du vieux beffroi s’illuminent d’étincelants reflets.

Le canon tonne, les batteries antiaériennes mêlent leur voix grêle aux soudaines détonations des pièces de marine qui martèlent de coups formidables le silence auguste des nuits d’été. Le zénith scintille de l’éclatement ininterrompu des shrapnels, aussi rapides que des météores, tandis que les balles lumineuses des mitrailleuses s’égrènent en chapelets d’or vers l’invisible proie.

Durant l’accalmie des rafales, le double bourdonnement des moteurs ennemis se fait entendre. Les forbans tournoient sur leurs victimes avant de desserrer leurs griffes meurtrières et la sérénité imposante, qui succède au fracas de tout à l’heure, dramatise l’attente.

Les cris des vanneaux brusquement éveillés, se mêlent dans les pâturages avoisinants aux galopades du bétail affolé. Non loin s’envole un Anglais, chauve-souris géante au sein des ténèbres, messagère de mort et de représailles.

Soudain, deux, trois explosions ébranlent le sol. Une aurore