Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/687

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

assez fastidieuse, terriblement lourde à porter. Il ne s’est chargé ensuite que d’un roman, l’Ecornifleur : son Poil de Carotte n’est pas tout à fait un roman. Mme Vernet, dans l’Ecornifleur, a décidé que son bien-aimé homme de lettres Henri Gérard ne serait point un fainéant. Elle a de l’ambition pour lui et ne croit pas trop s’avancer en lui promettant la gloire au bout d’un roman qu’il n’y a plus qu’à écrire. Tous les matins, au lieu de l’emmener à la promenade, elle l’enferme avec de l’encre, un porte-plume et du papier qu’il faut noircir. Et Henri se désole : « Passe d’écrire une petite nouvelle ! C’est court comme une visite de jour de l’an. Bonjour, bonsoir, à des gens qu’on déteste ou qu’on méprise. La nouvelle est la poignée de main banale de l’homme de lettres aux créatures de son esprit... Mais écrire un roman ! un roman complet, avec des personnages qui ne meurent pas trop vite ! Mes jeunes confrères me l’ont dit : — Tu réussis les petites machines, mais ne t’attaque jamais à une grosse affaire. Tu manques d’haleine. — J’en conviens, j’ai besoin de souffler à la troisième page, de prendre l’air, de faire une saison de paresse ; et, quand je retourne à mes bonshommes, j’ai peur, comme si je devais renouer avec une maîtresse devenue grand’mère pendant mon absence, comme si j’allais traîner des morts sur une route qui monte. » Henri avoue quelque paresse ; et, au commencement des Bucoliques, dans le joli préambule qu’il a intitulé : « La lutte quotidienne, » Jules Renard fait un pareil aveu. Mais il travaillait tout le temps.

Cet aveu dissimule aussi un scrupule que beaucoup de romanciers auraient heureusement. Ils ne craignent pas d’allonger le récit, lorsqu’ayant dit le principal, ils se reposeraient un peu sans inconvénient pour eux et pour le lecteur. Entre les meilleurs passages de ces gros livres que fournissent à leur clientèle, cependant pressée, la plupart des romanciers, il y a de la bourre, en quelque sorte, et analogue à celle que l’on met dans une caisse où l’on emballe des objets précieux et fragiles. Jules Renard, lui, n’avait aucun courage pour entasser cette bourre. Il plaçait les objets précieux et fragiles les uns à côté des autres : ça ne faisait point un colis. Ça ne faisait point un roman : c’était trop court et tout délié.

Il écrit un jour : « Avec la vie de Mademoiselle Olympe Bardeau, on écrirait un roman de mœurs provinciales ; mais il serait monotone. Ce n’est guère varié, ce qu’elle fait : elle passe son temps à se dévouer. » Et toute l’histoire de Mademoiselle Olympe, depuis son enfance jusqu’à son âge très avancé, tient en huit pages. Pour animer