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totalité des forces allemandes pourra être appliquée sur le front français. Que la guerre sous-marine, qui d’ailleurs marche à souhait, réalise ou non ses promesses, il n’importe ; elle ne sera désormais qu’un adjuvant. Ce n’est plus sur elle, mais sur lui seul que Ludendorff compte désormais. C’est par les armes, avec ses armées, qu’il terminera la guerre ainsi qu’il l’a toujours rêvé.

Les temps sont proches, mais, si proches qu’ils soient, le peuple allemand aura-t-il le courage d’attendre qu’ils soient révolus ? Ludendorff est soucieux quand il se pose cette angoissante question. L’idée de paix a fait en Allemagne d’inquiétants progrès ; un Reichstag sans autorité n’a-t-il pas eu l’audace de voter une motion pacifique ? un gouvernement sans volonté n’a- t-il pas suivi lâchement le Parlement ? A Berlin, on court d’abdication en abdication, tant la peur est grande d’une révolution analogue à celle de la Russie. Tous les actes du Gouvernement le prouvent : il a fait adopter en Prusse le suffrage universel ; il laisse des délégués sans mandat pérorer sur la paix à Stockholm ; il n’a pas eu la force de réprimer comme elles le méritaient les grèves qui se sont produites dans les équipages de la marine ; il suit l’impulsion mauvaise des partis extrêmes au lieu de la réfréner. Hindenburg et Ludendorff se mêlent à ces luîtes politiques ; ils refusent leur appui au Chancelier Bethmann-Hollweg, aspirent à son départ, font pression sur l’Empereur qui le garde en offrant leur démission ; proposent même un successeur de leur choix, — le prince de Bülow, — et arrivent finalement à renverser leur adversaire, mais sans pouvoir imposer leur candidat. C’est Michaëlis qui prend le pouvoir.

Cette intrusion dans le domaine politique vaut à Ludendorff la haine des politiciens. Or, les politiciens trompent le peuple qui les croit ! Le peuple aura-t-il la ténacité d’attendre ? Décidément le temps presse.

Aussi Ludendorff prépare-t-il avec ardeur la grande offensive de 1918 sur le front français. Pendant tout l’hiver, divisions sur divisions sont acheminées de Russie, de Roumanie et d’Italie vers la France [1]. Avant comme après leur transport, elles ne perdent point leur temps et s’exercent au genre d’attaque qu’elles

  1. Le 21 mars 1918, 192 divisions sont sur le front français. Il s’en trouvait 1(??), au 1er décembre 1917. En outre, tous les hommes jeunes des unités maintenues en Russie ont été ramenés et incorporés dans les divisions de France.