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gênait un effet littéraire, assez tentant. Que de pages ont été écrites sur les conséquences de cette témérité du jeune peintre, sur le mécontentement qui s’en suivit et sur le discrédit qui s’attacha, dès lors, à sa carrière !

Tout cela ne repose sur rien ; tout cela est fortement controuvé par d’autres faits certains, tout aussi probants, comme l’éclatant succès de sa Bethsabée de 1643, l’année suivante, qui fut vendue récemment à Paris, avec la collection Steengracht, et où la tradition veut que la jolie femme, qui servit exceptionnellement de modèle à Rembrandt, fût la fille d’Ephraïm Bonus, devenue sa maitresse, après la mort de Saskia, son épouse.

Et le triomphe de 1644 ? Était-ce d’un peintre discrédité, ce petit tableau, exactement conçu sur les données artistiques de l’Ordonnantie de Franz Banning Cocq, avec la même répartition des lumières auprès des masses d’ombre, avec les mêmes « passages » du ton de lumière cerné de vert, au roux doré, puis aux rouges profonds qui conduisent aux demi-teintes de l’ambiance et que tous les collectionneurs d’Amsterdam se disputèrent à la vente de Renialme en 1656, après l’avoir tant admiré dans l’atelier de Rembrandt, cette Femme adultère, de la National Gallery. qui lui valut bien des commandes ! N’est-ce pas immédiatement après l’achèvement de la Prise d’armes qu’il fut chargé de peindre le portrait de l’un des plus puissants personnages d’Amsterdam, Abraham Wilmerdonx, directeur de la Compagnie des Indes Orientales, qui ne se serait pas adressé à un artiste décrié ? Et le bourgmestre Pancras, le docteur Heinsius, les Martin-Daey auraient-ils frappé, le lendemain, à sa porte, si le légendaire scandale de la Ronde de Nuit s’était produit comme on l’a prétendu ? Et tous les élèves qui sollicitaient son enseignement, les deux Fabritius, Samuel van Hoogstraten et Bernard Keilh, entre autres, ne se seraient-ils pas détournés de cet exemple dangereux ? D’ailleurs, il est singulier d’observer que cette partie de la légende ne remonte pas à plus de quarante ans, car Vosmaer parle de la Ronde de Nuit comme d’un triomphe de l’artiste, et lui-même cite aussi son esquisse, mais sans s’y arrêter, puisqu’il n’était pas encore question de la folle témérité du peintre, ni des conséquences désastreuses de son manque de préparation.

Mais qu’est devenue cette esquisse capitale, de la main du