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peintre naturaliste, étudiant l’être humain d’un œil sans indulgence, qui en extrait le caractère aigu et presque caricatural dans un schéma mental, assez cruel, mais qui en projette aussitôt une image ennoblie par ce filtrage de l’esprit, qui est le vrai travail de l’artiste, et qu’il traduisait dans ses carnets, ou sur sa toile, dans les prestigieuses adresses d’une exécution de magnifique technicien.

Son œil est, à la fois, l’objectif extraordinairement diaphragmé qui perçoit, dans les plus fortes vibrations de la lumière, le moindre détail d’une broderie au soleil, ou les aspects précis d’une ville imperceptible dans un lointain tremblant à l’horizon, et l’appareil de projection qui élargit cette même image, la simplifie en traits puissants, la compose, puis la dore enfin sur l’écran, plus étroit, qu’il choisit pour y fixer ses tableaux, lesquels imposent, à leur tour, sa vision à la nôtre.

Le personnage du petit lieutenant de la Prise d’armes en est un exemple excellent. L’étude exacte et si précieuse des broderies d’or de son pourpoint, l’exécution des houppettes de soie bleue des gants et du hausse-col d’acier bleui, damasquiné d’or et d’argent dans une arabesque si précise, le détail des bas à botter ornés de nœuds d’argent, le raccourci de son esponton clouté d’or qui sort de la toile, tout cela ne nuit en rien à l’irradiation de ce bloc lumineux, peint de verve, et cependant dans une extrême tension d’esprit, car de la réussite de ce morceau dépendait tout le succès de l’entreprise dangereuse. La pâte en est pétrie de soleil et cependant si rugueuse et si dure, que J. van Dyck prétendait « qu’on y pourrait râper de la muscade. » C’est comme un émail encore en fusion, dont le ton n’est pas défini et qui répartit en rayons le feu interne de ses pâtes accumulées. On a prétendu qu’il y avait disproportion entre ce mince lieutenant et la stature gigantesque et massive de Banning Cocq, dont Rembrandt avait intérêt à diminuer la masse obscure qu’il devait pénétrer de lumière, sans abaisser la valeur impérieuse de son pourpoint de velours noir. Mais, ne voit-on pas tous les jours des groupes plus disproportionnés traverser notre champ visuel sans y provoquer de surprise, et ces deux portraits eussent-ils été aussi véridiques, s’il avait corrigé l’écart de taille du géant ? Au point de vue technique, ce morceau est peut-être plus prestigieux