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Page:Visan - Paysages introspectifs, 1904.djvu/62

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C’est au second moi[1], beaucoup plus intérieur et inexprimable, que se sont attaqués les symbolistes. Celui-ci, infiniment mobile et confus, ne se solidifie qu’avec peine. Ce serait comme un visage derrière une vitre : si nous passons rapides il échappe, mais dès que l’attention fixe notre regard sur les ténèbres, la figure bientôt sort de l’ombre et nous parle. Or, les termes se dérobent pour décrire le caractère particulariste et individuel d’une émotion ainsi contemplée à sa source. Faute de mots qui la moulent, on s’ingéniera donc à la susciter, cette émotion, à l’évoquer chez le lecteur, jusqu’à ce que, subjugué, il la vive entièrement, jusqu’à ce qu’il en éprouve toutes les fines résonances en son cœur, jusqu’à ce que son âme en réfracte les plus ténues colorations.

De là encore, le recours fatal à l’expression symbolique, la seule capable de ne pas troubler la délicate polyphonie d’un état d’âme.

Le parnassien ressemble à ces orgues de Barbarie dont la roue édentée n’agrippe plus que les lames de métal fondamentales. L’instrument symboliste les fait toutes vibrer harmonieusement.

  1. Sur l’analyse psychologique de ces deux moi, voir Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, notamment le chapitre intitulé : Les deux aspects du moi, p. 97 et suiv.