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ÂME BLANCHE

Je les ramassai, très docile ; et nous avions une émotion délicieuse, une angoisse pleine de charme, à l’idée de tout ce qui pourrait arriver à Jacques et que nous ne savions pas. Ce danger plein de mystère dont il était menacé satisfaisait cet amour des aventures qui nous domine tous dans l’enfance et dont mon ami et moi nous étions absolument possédés. Derrière nous, vers la ville, les quais grouillants de monde avaient une agitation de fourmilière ; des trains, venus de la gare de l’Est, traversaient le Pont du Rivage, avec un gros bruit de ferraille.

Devant nous, c’était Laeken ; de l’autre coté, sur la rive gauche, un coin de Molenbeek était charmant avec ses prairies humides et vertes où de grandes vaches rousses paissaient ; à notre gauche, le canal de Willebroeck traînait, entre des berges gazonnées, piquées de renoncules tout en or, son eau lourde où glissaient les tjalks de Hollande aux massives ailes de bois ; les bacs carolorégiens ; les fins voiliers chargés d’arbres de Norvège écorcés et blancs ; les bateaux à vapeur reliant Bruxelles à Gand, Ostende, Anvers, La Haye… ; enfin, les barques à moules venues de Zélande, les longs chalands de Flandre remplis de briques, de foin, de chaumes, si profondément enfoncés dans l’eau qu’ils semblaient submergés jusqu’au bord de la carène, leur chargement surnageant seul. Les uns venaient vers le port ; les autres se