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Page:Yver - Comment s en vont les reines.djvu/159

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de la Nation, l’allure scandée au trio de la valse, agglomérant autour d’elle sans cesse de nouvelles recrues. Madeleine les vit s’éloigner du côté de l’hôtel de ville et se réjouit, car ils avaient choisi par là une direction opposée à celle des révolutionnaires. Les voix diluées dans l’air n’étaient plus que quelque chose de sourd, une musique incertaine, dont se comprenaient seules, à cette distance, les phrases aiguës. La jeune femme, brisée de lassitude, pensa de nouveau à rentrer. Cette fois elle fit volte-face vers l’hôtel du ministère. Il lui arrivait encore, portées par le vent, des notes familières de la valse qui s’éteignait là-bas, au tournant de la rue. Puis soudain elle s’arrêta, glacée de peur.

Une autre musique naissait, toute voisine d’elle, l’hymne poméranien hurlé par des gorges avinées ; c’était l’autre horde qui venait, montant l’une des rampes de la berge, en agitant ses oriflammes lacérés. Elle s’était accrue, elle aussi, en sa promenade sur la glace ; c’était devenu une longue traînée de haillons, dont l’approche emplit l’air d’une puanteur d’humanité, et qui se mit en replis ; des replis dessinés par l’angle de la rampe et du quai, et par la ruelle tortueuse qu’elle prit menant aux bas quartiers.