Aller au contenu

Page:Yver - Comment s en vont les reines.djvu/222

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pluie incessante, poudroyant au visage, qui se résolvait en huile boueuse sur le pavé, et, des rues situées vers le sud, il soufflait des bouffées de vent chaud. On baignait ici dans une vapeur tiède et malodorante ; il se faisait un mariage de miasmes entre ceux qui flottaient dans l’air et ceux qui montaient de l’eau lente du canal. La rue suait d’une moiteur de fièvre. L’eau venait de partout : du ciel en cette poussière humide, des brouillards du fleuve, de l’exhalaison des choses, du lit de la minuscule rivière ; elle travaillait la pierre des maisons, elle gonflait et pourrissait le bois des ponts, elle sortait d’en dessous le sol, elle suintait des murailles, elle éclaboussait des toits.

Des bruits de voix éclatèrent soudain. Aux pignons, les fenêtres palpitèrent et s’ouvrirent ; des femmes apparaissaient en silhouettes noires sur le fond éclairé de l’intérieur, et l’une après l’autre, elles se mirent à reconnaître leurs hommes revenant de la ville, dans ces ombres parlantes qui s’animaient et gesticulaient parmi le noir de la rue. Elles les appelèrent, mais eux firent des signes de refus. Quoi ! rentrer ! s’enfermer dans la réalité pauvre de la chambre, quand on venait d’offrir à leur imagination l’espace sans limite de la pensée grisante. Leur domaine maintenant c’était l’État !