Page:Yver - Comment s en vont les reines.djvu/292

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Madeleine, je ne t’ai jamais vue ainsi ; qui t’a changée ?

— Il faut que je te parle, répéta-t-elle pour la troisième fois.

Ce devoir de parler devenait une obsession. C’était aussi un supplice auquel elle se menait elle-même, impitoyablement, s’y engageant sans retour possible, par cette invite à l’écouter.

Elle commença de sa voix éteinte :

— Une amie est venue me voir tantôt. C’est une jeune femme, mariée depuis moins d’un an, qui est… qui se croit du moins, très aimée de son mari, et qui, de son côté, lui porte une grande tendresse. Seulement, la vie, au lieu de les rapprocher comme ils le désiraient aux premiers jours de leur amour, les éloigne l’un de l’autre ; leurs existences sont deux flots insensiblement divergents. Tous les deux n’ont pas la même nature. Lui est bon, très bon, il est le meilleur ; elle, trop minutieuse. Il est viril, tout simplement ; elle se repaîtrait d’une idée, d’un mot de lui, elle nourrit avec des riens son amour, et c’est justement de ces riens qu’il la prive. Comprends-tu, Samuel ? Ce sont deux compagnons, deux commensaux de la vie ; l’un a mis sur la table les choses substantielles, l’autre n’aurait voulu que les friandises.