Page:Yver - La Bergerie.djvu/100

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que riche ; donnez-moi ses soixante-cinq mille livres de rente et j’aurai vite autant de talent que lui-même — sinon plus, soit dit sans l’offenser.

Frédéric le regarda sans une surprise pénible et ressentit de nouveau la force de cette intelligence. Certes, il n’aimait pas que ce compagnon de tous les jours, cet associé de la vie de son maître le diminuât, le réduisît à ce point ; on devinait l’envie mortifiée et révoltée dans ses paroles ; mais du même coup cependant, Frédéric vit tomber l’auréole de l’homme de lettres ; ce ne fut plus pour lui qu’un opulent amateur ; Chapenel l’avait remis à sa vraie place. On n’allait pas contre les jugements édictés par cette bouche. Déjà l’œuvre de ce magnétiseur commençait ; il tenait plus qu’à moitié Frédéric avec ces liens dangereux d’invisible autorité dont l’enlacé ne se sent même pas enveloppé.

Alors, le jeune homme lança tout à coup.

« Sa fille, quelle sorte d’enfant peut-elle être ?

— Pour le moment, c’est adorable, dit Chapenel, dont le visage s’éclaira comme d’un sourire ; c’est l’innocence du jeune serpent… Plus tard, elle suivra le chemin des autres. »

Cette phrase travailla longtemps l’esprit de Frédéric. Il devait se souvenir souvent, plus tard, comment cet homme amer, à la seule