Page:Yver - La Bergerie.djvu/115

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térieuse et sonore mesurait la force des harmonies répandues.

Alors il se retourna vers Mme Ejelmar, comme pour s’assurer que cette timide et faible personne créait en effet, toute seule, ce fleuve torrentueux et puissant de musique.

Elle le créait. C’était à présent la fugue qu’elle jouait, elle la jouait de toute sa personne ; elle et l’instrument géant n’étaient plus qu’une chose unique ; on ne distinguait plus la femme du meuble apocalyptique, bête vivante et mugissante qui l’enchâssait ; son visage blanc, fasciné, se courbait sur le pupitre ; l’ivoire de ses mains couvrait et caressait l’ivoire des notes ; son buste pliait vers l’orgue, et pour que tout son corps fût en œuvre, aux réponses de la fugue, c’étaient ses pieds, ses pieds nerveux et vifs, qui brodaient sur le clavier de bois les astragales du contre-point.

La musique — trois feuillets aux portées fines — était notée à la main d’une écriture maigre, indéchiffrable. Beaudry-Rogeas, glorieux, triomphant, les yeux mouillés et radieux, vint dire à l’oreille du jeune homme en deux mots qui tremblaient :

« C’est d’Elle. »

Et Frédéric comprit comment ce prince de l’argent et du luxe aimait cette autre princesse d’art, émaciée dans sa pauvreté. Elle lui parut divine. L’orgue se tut, elle se reprit, se re-