Page:Yver - La Bergerie.djvu/13

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C’était alors qu’on les voyait errer dans la ville, par groupes de deux ou de trois, flânant aux vitrines, penchés sur les étalages des bazars à quatre sous, épiant les « Entrées libres » des boutiques comme autant de musées gratuits, et s’émerveillant, des quarts d’heure entiers, moins comiques que touchants, aux glaces d’un grand tailleur où se dressait une robe de femme.

À première vue, avec leur pantalon rouge et leur capote bleue, ils semblaient tous pareils, comme coulés en un moule unique. À peine remarquait-on, sous l’uniforme, ceux dont l’aristocratie s’affirmait en traits imprécis : la taille plus svelte ou plus cambrée au ceinturon, l’épaulette plus dressée par le port du bras, et quelque chose d’insaisissable dans le poser du képi, qui, ne s’écrasant pas aux tempes, laissait voir la pensée du front, la rêverie des yeux.

Personne ainsi ne distinguait de l’ordinaire pioupiou, dont les mains rouges vaguent à même le drap bleu de la capote, Frédéric Aubépine, qui allait seul, très insoucieux des étalages, oisif comme les autres, à ce qu’il paraissait, mais le cerveau si obsédé que c’était par oubli s’il ne se hâtait pas.

C’était un soir de mars, un crépuscule gris, mystérieux et tiède, presque printanier : il y avait eu dans le jour une chaleur prématurée