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Page:Yver - La Bergerie.djvu/132

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L’orgueil, chez les hommes, se nourrit, s’engraisse des humiliations subies, et ce n’est pas aux gens repus d’honneurs qu’il est difficile d’être modeste ! Ce fait d’avoir été mis de côté, comme un subalterne, au dîner des grands hommes, fut pour Frédéric le thème de méditations cruelles et farouches, et creusa dans son cœur un abîme d’ambition, affamé de notoriété, de succès, d’autorité, de gloire. Il devait longtemps garder rancune à son maître de cette blessure d’amour-propre, non voulue. Il oublia les cigares familiers dont le millionnaire le comblait dans l’intimité, les confidences même dont Beaudry-Rogeas l’avait honoré, cette affection quele brave homme, « bon cœur » qu’il était, lui avait montrée, et formula cette pensée où vibrait toute sa colère :

« Je vaux pourtant bien ce marchand de vin ! »

En fait, le marchand de vin voyait bien plus en lui l’employé que le marquis, et son besoin secret d’ostentation, en recevant chez lui les musiciens célèbres, n’avait pas requis la présence de ce jeune homme timide et obscur — tout simplement.

Frédéric se mit à penser avec plus de tendresse à la bonne tante si longtemps négligée et qui l’eût consolé. La perspective d’un séjour à Parisy le séduisit tout à coup. Il se dit : Pourquoi n’irai-je pas à ce mariage ?