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Page:Yver - La Bergerie.djvu/163

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gauche s’obstinant à se mettre de front, et faisant reculer toujours les bêtes d’avant vers le centre. Plus lourdes et lentes, les grandes vaches normandes venaient maintenant ; elles sortaient en mugissant vers le vacher, vers les hommes ; les bœufs énormes, puis c’était ceux qu’on hisse avec d’incroyables peines sur les wagons, dans toutes ces gares basses normandes, pour les abattoirs de Paris, et enfin, fermant la marche, les génisses du Cotentin, blanches, colosses dont la destinée s’élabore confuse et sanglante, reproductrices fécondes, nourrices des petits d’hommes, allant à l’apothéose lointaine et rouge de la boucherie…

« Combien ? » demanda Frédéric qui s’enthousiasmait.

« Cent quatre-vingts têtes en tout, » répondit M. de Marcy.

Et il ne se retint pas d’aller au milieu de ses bêtes, de les flatter, de palper sous sa main cette mouvante et vivante richesse. Elles le connaissaient. L’une d’elles enveloppa de sa langue baveuse toute sa manchette. Laure et Camille vinrent à leur tour. Frédéric se disait :

« Comme elles sont bien les maîtresses de la terre et cultivatrices dans l’âme, ces jeunes filles qu’un seul de ces animaux pourrait piétiner et labourer, et qui vont ; conscientes de leur maîtrise et de leur royauté, se jeter