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Page:Yver - La Bergerie.djvu/166

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soires. Nous jouons la comédie là-bas, pendant qu’ici vous vivez.

— Je comprends très bien ce que vous me dites, fit-elle dans un ravissement visible. Seulement c’est quelquefois plus amusant de jouer la comédie que de jouer la vie. »

Cet axiome inattendu heurta l’esprit de Frédéric comme un éclair, comme une lumière vive. Cette petite venait de réaliser, en une phrase concise, tous les vagues états d’âme qu’il se sentait. Qui donc aurait cru cela d’elle ? Y avait-il une pensée philosophique sous ce front de petite paysanne, dans cette cervelle d’enfant… Jouer la vie ! Elle savait donc des choses dont on ne se doutait pas, jusqu’aux dégoûts, aux lassitudes tristes de la réalité quotidienne, tout ce qu’il redoutait secrètement dans l’existence laborieuse des champs, et dont il s’évadait dans la fièvre parisienne. C’était donc une femme déjà, sans qu’on se fût aperçu qu’elle le devenait.

« Ce qui amuse ne fait pas toujours le bonheur, Camille, » dit-il sentencieusement.

Furtivement elle lui prit le bras.

« Marchons devant, murmura-t-elle en l’entraînant à une allure plus vive ; j’aimerais que vous causiez avec moi. Personne ne cause avec moi ici ; on m’appelle toujours le gamin ; j’ai pourtant seize ans et je connais la vie ; j’ai lu.

— Oui, lui dit Frédéric, vous avez lu un