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Page:Yver - La Bergerie.djvu/18

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tence. Du temps qu’il était lycéen à Paris et que son tuteur, M. de Ballière, le faisait sortir à de rares intervalles, celui-ci lui disait à chaque fois : « Tu sais que tu as une tante, une vieille demoiselle d’Aubépine, qui habite là-bas, dans la Manche ; elle s’était brouillée avec ton père, lors de son mariage ; mais il faudrait te rapprocher d’elle. » Frédéric, rhétoricien ou bachelier, pouvait difficilement se rapprocher de sa parente, d’autant qu’il lui en voulait de cette brouille au sujet du mariage de son père. Son père avait fait ce qu’on est convenu d’appeler, dans le monde, « un sot mariage ». Frédéric en avait surpris le terme autour de lui, et il s’en irritait tout en s’abstenant, par fierté, de demander jamais nulle précision à ce sujet. Il avait perdu son père et sa mère à six ans, il s’en souvenait toujours et les chérissait avec douleur, avec passion ; sa mère surtout, qu’il revoyait encore si jeune, si jolie et caressante, et dont il se défendait d’évoquer la pâleur poudrée, le rouge équivoque des lèvres, les yeux longs et peints, même la coiffure compliquée, le casque noir et soyeux, laissant tomber sur le front une frange frisée selon la mode d’alors. Il l’adorait ; il eût été honteux d’une enquête sur elle ; il soupçonnait seulement quel amour avait uni à son père cette créature charmante ; il n’en avait jamais parlé à personne, et ceux qui lançaient la plus