Page:Yver - La Bergerie.djvu/206

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« Ne trouvez-vous pas que cette gaîté soit tragique ? lui demanda-t-il.

— C’est bien ainsi que Ménessier l’a voulu, répondit-elle ; écoutez ces accords faux, ces anharmonies qui vous causent à chaque instant une angoisse. »

Elle ajouta :

« Vous avez l’air triste ce soir, monsieur Aubépine. »

Il hésita quelques secondes à répondre. Puis elle lui parut soudain si loyale, lumineuse et forte, cette créature de paix et de calme, qu’il ne résista pas au besoin qu’ont tous les hommes de se confier à une femme sympathique. Peu à peu, à force de réticences, cherchant à reprendre dans une phrase ce qu’il avait dit dans l’autre, et trouvant au fond, dans cette expansion, un bonheur infini, il dévoila son état d’âme, il se confessa limpidement, naïvement, à cette femme plus âgée que lui qui le charmait. Il dit son enfance navrée, son cri de détresse vers sa famille, tout ce qu’il avait ressenti et enduré en se trouvant pour la première fois, à vingt-trois ans, dans la maison paternelle, puis ses tristesses devant la terre qui ne lui appartenait plus, tristesses qu’il expliquait maintenant par une illusion de son imagination surexcitée. Ces sentiments confus, disait-il, ces vœux imprécis vers la vie agricole le ressaisissaient