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Page:Yver - La Bergerie.djvu/278

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une soirée pareille à celle-ci, dans l’intimité, la pénombre du grand salon.

Et pendant qu’il bâtissait ce travail, l’écrivant mentalement, déjà plus qu’à moitié, une fin d’après-midi d’octobre où ils étaient seuls ensemble ici, voilà qu’il reconnut indistinctement des arpèges entendus autrefois, au prélude familier, et Lydie, d’une voix retenue, d’un filet de voix pure, délicieux, émouvant, chanta pour lui tout seul en sourdine :

Le soir j’allais avec mes sœurs à la fontaine.

Il se redressa, interdit et pâlissant. Il sentit que c’était son propre drame qu’elle entendait jouer là ce soir. D’abord il n’osait croire… il tremblait. La voix de Lydie se fit un murmure pour signifier la brise du crépuscule se jouant dans le voile de Bethsabé, et le pianissimo continua si doux, si tendre, si vibrant, pour arriver à l’appel de la fin, et cet appel, — très certainement Frédéric le connut alors, — n’était plus celui de l’amoureuse Bethsabé vers le poétique roi de la Bible, c’était le vouloir secret de cette fascinante créature, c’était la propre voix de Lydie qui exprimait son propre délire.

Le cœur de Frédéric fut, ce soir-là, pris et roulé dans un flot de choses terribles, comme un homme à la mer dans un tourbillon. Le