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Page:Yver - La Bergerie.djvu/58

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buffet où elles avaient pris des « goûts », C’était aromatique, pharmaceutique, vieux, sans force et exquis. Frédéric dut déguster chaque. merveille. Le tout ne dut pas faire monter à son cerveau plus d’une goutte d’alcool. De tant de vieilles liqueurs évaporées, il ne conçut pas plus de gaîté, mais peut-être un peu plus de mélancolie. La nuit vint. On apporta sur la table des flambeaux allumés comme au vieux temps. C’étaient des lueurs faibles et bougeantes qui n’atteignaient qu’à peine les plafonds lointains, qui s’éteignaient avant de toucher les boiseries de chêne, où s’allumait seulement de-ci, de-là, un relief ciré dans les rondeurs enflées des cartouches. Il y eut un silence. La bonne tante, avec des soins d’alchimiste, effritait du sucre dans les bouteilles, renforçait en eau-de-vie le bocal aux prunes. Camille boudait, le dos rond, la lèvre en moue, roulant des mies de pain entre deux doigts. Laure, impassible, rêvait, et il sembla tout à coup à Frédéric que l’air de la valse lente reprenait tout seul là-bas, sur le vieux piano, tant il l’eut distinctement à l’oreille. Il pensa aux repas d’autrefois qui s’étaient tenus à cette même table, quand son père était adolescent ; les plafonds lointains et les murailles sombres aux cartouches rebondis les avaient vus là, tous les siens ; ils le revoyaient maintenant « invité ».