Page:Yver - La Bergerie.djvu/64

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Debout sur l’araignée, cahoté à chaque sillon, un jeune homme tenait les rênes ; sa chemise très blanche, sa manchette, le faux-col glacé, la coupe du gilet qu’il portait, sa stature même indiquaient l’intellectualité. Sur ce char de fer, conduisant ces fortes bêtes qui s’arcboutaient en terre pour le trait, parmi cette mer frissonnante et dorée des épis, il parut à Frédéric mythologique et divin. Il devait savourer une ivresse de maîtrise, d’énergie et d’utilité. Lettré sans doute, laboureur dilettante et propriétaire sagace, il avait voulu manier lui-même l’outil nouveau, par intelligence peut-être, peut-être par volupté. Il était, à voir ainsi, souverainement enviable. Frédéric condensa l’intense impression qu’il ressentait par un mot qu’il lança vers lui à mi-lèvres, qui disait ses ambitions refoulées, les sourdes impulsions de sa nature, l’innocente et belle jalousie dont il était dévoré :

« Veinard, va ! »

Quelques jours après, de retour à Rouen, il trouva une lettre de la bonne tante d’Aubépine. Cette lettre, malgré les tendresses dont elle était imprégnée, distilla du drame dans son cœur.

« Voici que tu vas être libéré, mon grand garçon, disait-elle ; il va falloir s’occuper de t’établir dans une situation stable. Ceci est ma grande préoccupation. Je te demande une der-