Page:Yver - La Bergerie.djvu/85

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Frédéric prit un autre cigare, le cerveau troublé par les parfums havanais qui flottaient maintenant ici, mais grisé surtout de ce sentiment qu’il devenait l’ami du grand homme.

« Pauvre Raphy ! je l’accuse parfois d’être fou. Je lui ai dit un jour : Votre mariage a été comme une sorte de méthode Pasteur appliquée à l’Amour. Mais il ne faut jamais lui parler de sa femme, monsieur. Je vous en donne le conseil en passant ; c’est maladroit. Ne lui parlez même jamais des femmes. Ça le fait monter — innocente manie.

— Et manie d’innocence, » dit Frédéric pour faire rire son patron.

« Il y a des femmes bonnes et charmantes, reprit Beaudry-Rogeas en ressaisissant sa gravité ; il yen a qui, malgré leurs défauts, laissent en disparaissant d’immenses regrets. Je suis veuf, monsieur, j’ai eu le chagrin de perdre la compagne la plus jolie, la plus gracieuse… Quel vide dans mon cœur ! »

Il soupira. Frédéric s’émut. Un chagrin, dans cette nature puissante, prenait à ses yeux des proportions géantes ; les douleurs d’un demi-dieu ! Il balbutia les yeux humides :

« Ah ! maître ! je comprends… »

Au demeurant, il ne comprenait pas du tout, car nul veuf n’avait jamais pris mieux son malheur que Beaudry-Rogeas ; ce qui