Aller au contenu

Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Alors il se rappela le conseil du bon Le Guirec : « C’est par les rapports qu’on crée l’atmosphère. » L’inspiration le saisit soudain et il écrasa du rose, du bleu, du blanc sur sa palette jusqu’à en faire un mauve chatoyant qui chantait comme une mélodie quand il en drapa la ceinture de la robe. Le châtelain, qui suivait en manière de passetemps l’élaboration du portrait, s’écria : « Cela est plein de goût et d’une fraîcheur qui charme les yeux, cher monsieur ! » Et la petite Annie, qui se contemplait dans cette image, battit des mains en déclarant que « c’était trop joli » !

Hyacinthe Arbrissel passa six semaines entières dans le petit château Renaissance en granit taillé qu’était Kerzambuc. Le châtelain, qui s’ennuyait en l’absence de ses fils, élevés chez les Jésuites de Rennes, le prit en amitié. Le jeune peintre possédait cette sensibilité frémissante mais silencieuse des Bretons que le père d’Annie décela et dépouilla avec. délicatesse comme un cocon de soie. On lui montra le grand massif d’hortensias bleus dont on était fier ; et Hyacinthe Arbrissel pensa mourir d’enthousiasme en voyant s’étaler sur le granit gris-tourterelle du château cette tenture opulente des fleurs d’azur qui en tapissait la façade au couchant. On le combla de cigarettes alors qu’on fumait la pipe sans vergogne, même au salon. À table, le soir, où le dîner se prolongeait, on lui réservait les bons morceaux et les meilleurs fruits. Mais personne ne venait troubler les séances de pose où il demeurait tête à tête avec une fée. Le jour où il se décida enfin à signer son œuvre — ce qui équivaut à mettre