Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/36

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Sisley, Berthe Morisot, Camille Pissarro, Edgar Degas, Pierre-Auguste Renoir, Claude Monet, et tout le clan qui faisait la gloire du grand marchand de tableaux perspicace Durand-Ruel. On y voyait aussi quelques grands amateurs et des journalistes. Toutes ces personnalités violentes se heurtaient, se bagarraient et, en dernière analyse, se mariaient à vibrer ensemble comme font aussi les couleurs. Hyacinthe Arbrissel, leur hôte, celui qu’on surnommait « le Celte indépendant » parce qu’il peignait sans théorie préconçue, c’est-à-dire au rebours des autres, était bien différent. Mais la joie que leur apportait la couleur et leurs réactions de peintres se trouvaient les mêmes ; plus violentes même chez lui que chez un Monet moins instinctif et à qui souvent il disait : « Monet ! Monet ! tu fais de la chimie ! »

Dans ces réunions tumultueuses où toutes les théories qu’on se jetait à la tête avaient forme de pavé, la douce et belle Annie apparaissait vers cinq heures avec la bière et le café. On est enclin à admirer une femme très aimée, fût-elle peu jolie. Celle-là, par surcroît, avait un visage ravissant. Mais on regardait moins ce tendre ovale fragile que le coup d’œil dont le mari enveloppait comme d’un rayon de soleil ces traits enfantins. Il ne pouvait y avoir plus pudique mais en même temps plus violente révélation de cet amour qui les liait, que ces échanges à peine perceptibles et seulement discernables à des êtres aussi subtils qu’une Berthe Morisot, un Sisley, un Degas. Il eût été moins suggestif qu’ils se fussent franchement enlacés. Et puis l’intel-