Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/53

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le temps où il peignait ses grandes compositions de nu en plein air ; le temps où son nouveau modèle, une grande fille maigre mais admirablement serpentine, posait pour lui, nue malgré la fraîcheur hâtive de l’automne 1882, dans le petit parc de la villa. Et il pensa que la pauvre Cloclo l’avait fait aussi — mais par amour. Il n’en restait pas moins que si celle-là gagnait un mal grave, ce serait pour le service de son génie à lui, Arbrissel. Parfois, sur cette pente de sa méditation, il en venait à concevoir ce génie comme indépendant de sa propre personne. Un être surnaturel vivant aux dépens de son âme, un hôte impérieux dont il était possédé comme certains de Satan et qu’il fallait nourrir à tout prix pour qu’il produisit — et de la magistrale peinture.

Il y avait là, non pas de la prétention, mais au contraire une sorte de modestie qui lui faisait dissocier son moi de ses conceptions, de ses facultés picturales. Mais au cours des heures sacrées de la production les barrières tombaient, l’hôte divin se confondait avec lui-même. Ils ne faisaient plus qu’un et parfois, au front de l’artiste, des gouttes de sueur perlaient pendant qu’un jeune corps à la chair rose étendu sur le gazon devant lui frissonnait et risquait la pneumonie ou la tuberculose, pour l’insatiable dieu caché en lui.

Le petit Pierre Arbrissel avait obtenu des Pères dominicains de suivre les offices du dimanche avec