Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/59

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assurée, ce caractère d’intensité qu’il savait dans toute son œuvre furent déployés devant son enfant ébloui.

— Tu vois, gosse, ce n’est pas là de la peinture à la mie de pain, ni même à la gelée de groseille. Cela ne tremblote pas, cela n’hésite pas. En art, vois-tu, il faut affirmer puissamment. L’artiste doit aller jusqu’au bout de sa force, se vider entièrement, vigoureusement de sa vision intérieure. Le premier caractère de cette vision doit être l’intensité. Je préfère le brutal au tiède !

Et, fourrageant sa barbe puissante, éclatant de santé, de vigueur, de vie, de gloire, le grand peintre semblait défier tous les sorts contraires. Aux yeux du petit garçon ébloui, il était de l’étoffe même des héros de l’antiquité classique, une sorte d’Apollon merveilleux, dieu de la beauté et des mouvements sublimes que la beauté engendre. Et voici que soudain, devant un génie si robuste, le petit garçon s’effondra d’admiration, une admiration muette, impuissante à s’exprimer par des mots, même un peu craintive. Il éprouva devant son père une timidité, le trouble du pygmée devant le géant. En secret il se mit à l’admirer passionnément. Mais il allait, par contre, devenir plus silencieux que Jamais à ses côtés. Son âme se ferma, crainte de livrer ses trop ardents frémissements. Même lorsque le grand Manet mourut, vers cette époque, et que Hyacinthe Arbrissel en mena si

  • grand deuil qu’il demeura des mois entiers sans

pouvoir toucher une brosse, se lamentant, disant qu’il avait perdu bien plus qu’un frère, c’est à dire l’Ange même de son propre talent, Pierre