Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/60

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tournait autour de lui comme autour d’un dieu blessé qu’il n’est pas permis de plaindre, encore moins de consoler. Ainsi qu’il se devait en pareille occurrence, Arbrissel imputa ce mutisme à l’indifférence : « Cet enfant est complètement insensible ! disait-il à la mère. Depuis la mort d’Édouard il n’a pas eu un mot de compassion pour mon deuil affreux, comme si je ne perdais pas là mon meilleur ami ! — Ah ! reprenait la douce Annie, comment voulez-vous qu’un petit garçon de neuf ans trouve dans son vocabulaire même les formules de condoléances dont s’arrangent en pareil cas les grandes personnes ? Moi, je sais qu’il est triste lorsqu’il vous regarde, mon ami. Est-ce que cela ne devrait pas vous suffire ? »

Néanmoins elle dit à son petit garçon : « Tu devrais parler quelquefois à ton papa de ce pauvre M. Manet. » Il répondit : « J’ai peur de le faire pleurer ! » Et il eut lui-même là-dessus une crise de larmes.

Pendant les semaines qui précédèrent sa première communion en 1885, Pierre Arbrissel fut pensionnaire chez les Dominicains, de quoi il goûtait d’avance un enchantement. Il entrait dans une autre vie, dans un autre monde, dans le surnaturel même dont participaient les grands bâtiments, les couloirs sonores, les cloîtres enfermant de ravissants jardins intérieurs dans leur feston de pierre. Pris par un charme religieux nouveau pour lui, le petit garçon avait vu s’évanouir ce que les Pères appelaient : « le siècle ».