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Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/68

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dité de petite fille. Ce qu’il admirait le plus dans Arbrissel, c’était justement cette tranquille assurance datant d’avant les plus enivrants succès qu’un artiste puisse connaître et qui avaient été les siens. Lui, Pierre, n’osait même pas rétorquez les dits du vieux marchand de tableaux. Et il partait d’ici les poches pleines des tubes de couleurs dont le père Bonassy l’avait comblé.

Le don essentiel du petit garçon, en dehors d’une singulière facilité de dessin, semblait être celui de suggérer plutôt que d’affirmer — résultante d’une sensibilité prématurée. Le monde extérieur était pour lui le moins intéressant. Il aurait voulu exprimer son château intime, donner une forme symbolique à son ardente spiritualité, traduire ses enivrements célestes, en évoquer l’objet sans en oser la représentation directe. L’amour de Dieu pour sa créature, dont la seule pensée le mettait en extase, se fit pour lui la clef de sa métaphysique entreprise. Un seul signe matériel pouvait le traduire : le cœur du Christ. Il s’en empara, le peignit couleur de sang sur un fond dégradé de pourpre, une pourpre éclaboussée aussi de sang. Alentour on voyait se tendre vers ce cœur blessé des mains suppliantes, de longues et expressives mains de primitifs plus éloquentes que la plus touchante prière. Puis il en revint à l’évocation du monde des esprits célestes qui avait déjà hanté son enfance et qu’il exprimait derechef, sans y mêler nulle figuration de l’humain, par des ailes repliées et comme orantes en présence d’une hostie flamboyante, un ostensoir de feu. Le tout, d’une effarante subtilité.