Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/72

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vivante qu’absent il recréait sans cesse dans son esprit, déjoua ses projets. Il s’abattit en sanglotant sur la poitrine du demi-dieu et là enfin vida son cœur :

— Je suis collé : oui, tu entends bien, collé. Un an de travail pour rien ! Je suis un âne. Mais ça m’est égal puisque tu es là. C’est pour toi que je suis terriblement embêté. Songe donc, pour un artiste comme toi n’avoir pour progéniture qu’un crétin, c’est humiliant. D’un côté toute ta gloire, Paris qui t’adore, la jeunesse artiste qui ne jure que par toi, les peintres qui n’aspirent qu’à faire du sous-Arbrissel, les étrangers qui viennent de Londres ou de Haarlem rien que pour dire qu’ils ont vu tes « salons » au Champ de Mars, les journaux qui t’épient afin de rassasier les curiosités que le monde a de toi, de ta personnalité colossale ; cette atmosphère presque olympienne enfin qui émane de toi — et puis, face à tant de grandeur, un fils unique stupide qui n’est même pas de taille à décrocher un pauvre bachot !

Hyacinthe, qui n’avait pourtant pas prévu l’échec, en demeura moins surpris que de cet abandon tel qu’il n’en avait jamais connu chez son fils. Son cœur creva… L’aspect de cet adolescent en pleurs qui, en plein désespoir, regrettait avant tout de l’avoir déçu, l’éclaira tout à coup sur l’âme inconnue de son enfant et sur les liens qui le lui attachaient. « Petit idiot ! murmura-t-il, tu crois que j’ai honte de toi ? » Et sans rien ajouter il le regardait avec tendresse. Le plus significatif, en ces instants qui allaient définir pour toujours l’attitude réciproque de ces