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Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/77

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les détails de son apparence, et dérobait férocement le secret de sa personnalité profonde. Cette femme ne se taisait pas, et cependant manœuvrait de telle sorte qu’on ne sût rien d’elle, sauf son intelligence qui se percevait beaucoup moins par ce qu’elle avouait d’elle-même que par ce qu’elle en dissimulait. Jamais le grand homme ne s’était trouvé devant pareil sphinx et n’avait engagé telle lutte pour déchiffrer une âme. Quand il redescendait chez sa femme, il en était obsédé, gardait un étrange silence. « Êtes-vous souffrant, cher ami ? lui demandait-elle tendrement. — Eh ! non ! s’écriait-il avec un coup d’épaule presque insolent d’impatience ; mais ne concevez-vous pas que je suis toujours en travail, que toutes les lumières et toutes les ombres de ce visage que je peins actuellement me sont présentes, que je les sais par cœur et les discute sans repos ? » Ce fut Pierre, le plus subtil, qui sentit imprécisément son père fort occupé de cette femme, de quoi la mère ingénue ne se douta nullement.

Il commençait alors sa philosophie chez les Dominicains. Ses maîtres étonnés s’aperçurent qu’ils avaient en lui leur meilleur élève. À cet âge qui dépasse celui de l’intuition, les adolescents procédent par bonds. Ses dissertations sur l’Aristotélisme furent lues en classe. Mais c’est surtout de la doctrine thomiste qu’il fut nourri. Un mysticisme doux et profond l’envahissait en même temps, qui n’était pas le fait d’une théologie absconse mais d’une grâce que les initiés connaissent bien. Son père, d’une façon à la fois évidente et subtile, lui échappait à cette époque. Cependant un soir, comme il rentrait du collège,