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Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/82

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jouait du cynisme comme d’un sport, vous prenez tant de peine. Est-ce que nous ne sommes pas toutes trompées ? Est-ce que le prince lui-même m’est fidèle ? D’ailleurs, Mme Arbrissel n’est pas soupçonneuse. — C’est bien ce qui m’accable le plus, murmurait l’homme célèbre. J’aurais éprouvé un mauvais sentiment de vengeance à trahir une jalouse. Mais si vous saviez quelle pure confiance règne dans le cœur d’Annie ! » Un jour que pour la troisième fois, à tout le moins, il lui attestait cette « pure confiance », la terrible femme éclata de son rire ensorceleur : « Alors, puisque vous êtes si assuré de cette confiance qui nous enveloppe, nous n’avons rien à craindre, mon cher grand génie, et nous pouvons nous aimer en paix, si toutefois l’amour et la paix peuvent aller de conserve… »

Ce n’était toujours pas le cas pour ces deux-là. Secrètement timorée, la conscience du grand peintre, imprégnée à Quimper d’un christianisme doux et sensible mais teinté de jansénisme, n’était pas préparée à consentir sans luttes de tels abandons. Il souffrait devant son Dieu en face duquel il n’osait plus paraître. Le portrait de la princesse disparut un jour de son atelier par les soins du fils Bonassy qui l’envoya chercher pour l’encadrer. Lorsque, penché à la baie du second étage, il le vit, enveloppé de couvertures confortables, disparaître par l’avenue de Madrid dans un fiacre découvert, il poussa un sourd rugissement que, grâce à Dieu pour sa vanité, nul n’entendit. « J’aurais donné toutes mes toiles pour garder celle-là ! pensait-il. Ce n’est pas illusion chez moi : Elle vivait ! C’était plus