Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/93

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d’un être si puissant prenait à ses yeux une forme héroïque. Il en détestait, de toute sa pureté d’adolescent mortifié, la cause coupable, mais sa tendresse fondait de pitié devant l’aspect déchirant du grand homme. Le mal était sans espérance. Il fallait que ce grand homme disparût ou qu’il menât une vie affreuse — car Pierre en — était encore à croire que cette passion serait éternelle et que la mort seule lui en apporterait le remède !

Un jour qu’à grands pas il descendait une garenne étroite et humide, au creux de deux « fossés » (ainsi appelle-t-on les talus en Bretagne), une fille de quatorze ans juchée sur l’un des remblais, pieds nus dans ses sabots et jambes boueuses sous sa jupe courte, la tête surmontée d’une sorte de petit aéroplane en dentelle blanche qui est la coiffe de Quimperlé, lui tendit ses mains pleines de mûres.

« Vous voulez ? » demanda-t-elle d’un air sauvage.

La cupule que formaient ses petites mains aux ongles terreux n’était pas appétissante, mais elle avait des yeux d’un bleu de ciel pâle, rieurs et tendres. Jamais Pierre Arbrissel n’avait reçu pareille impression de la féminité. Il tendit ses lèvres avec un vague sentiment de vertige et mordit à même le tas dans ces petits fruits faits de perles de jais, tout en regardant la fille qui disait : « Vous êtes de par là, sûr ! Où que vous habitez ? — À Kerzambuc. — Ah ! dit-elle déçue, vous êtes du château ? — Oui. — Moi, il faut que je retourne à mes vaches. Kénavo, alors ! » Et faisant un saut dans la garenne boueuse, elle dévala vers le champ où paissaient de petites vaches blanches tachées d’encre noire.