Page:Yver - Le Metier du roi.djvu/106

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des dames d’honneur au repas pris en commun, et qui fit que la jeune femme demanda d’être servie le soir chez elle. L’hostilité dont l’accablait le palais était écrasante ; elle s’y complaisait, elle la savourait, rachetant ainsi l’espèce de compromission où Ismaël l’avait entraînée mais son âme n’était point faite pour l’animosité qui agitait à ce moment sa belle vie intérieure.

La première nuit, en s’endormant sous les falbalas décolorés des courtines princières, elle crut voir devant son lit la haute figure du vieux Kosor, son grand front d’ivoire, sa barbe d’argent, ses yeux bleus flétris et chargés de rêve. Il était triste, plein de reproche. Avait-elle oublié, semblait-il dire, les longues proscriptions dont il avait souffert, la guerre impitoyable que la royauté et lui s’étaient faite, les terribles représailles de Wenceslas, et la déportation finale avec la mort au pénitencier du Pacifique ? Elle, sa fille, dormait aujourd’hui magnifiquement sous le toit du souverain, elle mangeait le pain de sa table, elle pactisait avec la petite-fille du tyran et à quel moment ? À l’heure même où le roi sevrait douloureusement le peuple de pain et de charbon. Les lois de protection allaient commencer de faire sentir leurs effets : la misère s’installait au faubourg. Et, dans la tiédeur des calorifères, Clara pouvait-elle se désintéresser de ceux qui souffraient du froid, dans les logis sans feu, de l’autre côté de l’eau ?…