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Page:Yver - Le Metier du roi.djvu/130

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joueurs. Il fallait les voir, tête contre tête, presque aussi gigantesques l’un que l’autre : le duc, majestueux, le front beau, les cheveux d’argent, la moustache hérissée ; le comte, farouche, coiffé en brosse, le poil gris, puissant et engoncé, avec un cou de taureau : ils fronçaient le sourcil, calculaient, grognaient sourdement. L’un était le maître familier et terre à terre, l’administrateur du coffre-fort royal, possesseur de tous les secrets intimes de Wolfran. L’autre était le pseudo-imperator de la Lithuanie, qui comptait le premier pour un fétu. On entendait les petits coups secs des dés que la bonne Bénouville jetait avec une sorte de passion. La reine interrogea le jeune Anglais sur une pièce nouvelle qu’on donnait depuis trois jours à l’Opéra d’Oldsburg. À dix heures, on apporta le thé. Clara disait à son compagnon :

— Mais le roi… n’assiste-t-il jamais à ces soirées intimes ?

L’inconnu répondit évasivement :

— Quelquefois…

Et la savante, très à l’aise près de ce jeune homme dont elle était visiblement l’aînée et que ses propos dénonçaient clairement pour quelque riche amateur d’art, d’esprit rêveur et distingué, se confia peu à peu, avec l’abandon des personnes de science :

— J’aurais voulu voir le roi ce soir, je ne le cache pas ; j’ai vécu dans un milieu où il n’était