Page:Yver - Le Metier du roi.djvu/194

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Il avait des goûts si élevés et si vifs, et il apportait tant de fougue à les satisfaire ! Je l’ai vu, à quatorze ans, passer une nuit dans le laboratoire de la tourelle, qui était alors son atelier de menuiserie, pour achever une table dont les pieds se fendaient à mesure qu’il les arrondissait au tour. À l’aube, il était frémissant et épuisé au milieu des éclats du bois. Tout pâle, il retenait ses larmes et repétait : « Je ne suis même pas un bon ouvrier ! »

Clara, les lèvres mi-ouvertes, écoutait. Elle savait ainsi tous les traits de l’enfance royale, évoquée jour à jour par l’ancienne gouvernante. Un enfant délicieux et rêveur, un adolescent généreux, un jeune homme poète et exalté, tel était le personnage du passé que l’unioniste avait appris à connaître. Elle concevait, pour cet être ardent de jadis, un intérêt dont l’impérieux souverain d’aujourd’hui n’obtenait pas tout le bénéfice. Comment l’enthousiaste de quinze ans, dont on lui avait montré la photographie aux yeux noyés d’idéal, comment le prince d’une bonté passionnée, était-il devenu le dur monarque autocrate et implacable ? Bien que madame de Bénouville se montrât fort réservée sur ce passage délicat, Clara savait qu’à vingt ans ; prince héritier ayant déjà parcouru l’Europe, il avait eu avec le roi Wenceslas et le grand maréchal d’État, — le terrible duc de Zoffern, qui, à cinquante ans, arrivait alors au pouvoir, — des scènes tragiques.