Page:Yver - Le Metier du roi.djvu/215

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cette solitude, comme un tourbillon lentement pompé par le vide, la masse noire de la foule innombrable et enrégimentée s’avançait d’une allure régulière, presque majestueuse. Le front atteignit le quai de la rive droite, la colonne comblait de sa largeur la largeur même du pont ; quant à sa base, on la cherchait en vain : l’océan noir couvrait la chaussée du faubourg, se confondait au loin avec les confins imprécis du quartier suburbain. Clara, d’une voix étranglée, ne prononça qu’un mot : « Les tisseurs ! »

Au même instant, un coup de tonnerre qui grondait au sud de la ville se rapprocha, s’enfla, fit trembler les vitres du palais, et l’on vit déboucher sur la place d’Armes, par une rue adjacente, un premier escadron de cavalerie arrivant au grand trot, dans un nuage de poussière que dorait le soleil et que tordait le vent. La troupe se rangea sur les parties latérales de la place. Au même instant, la foule noire commençait de s’engouffrer dans l’avenue de la Reine. On distinguait les vestons décolorés des ouvriers, le long sarrau des artisanes. Plusieurs tenaient leur enfant accroché à leur cou. Un homme marchait à leur tête, petit et frêle. Clara se crispa des deux mains à la table d’expérience. Elle avait reconnu Kosor. L’archi-duchesse comprit le coup d’émotion qui la frappait là, tout endormie en sa sécurité de savante. Murée dans ses laboratoires, reprise par cette léthargie mystérieuse de l’inventeur qui travaille